( Articles de presse )
_

Chil Story


( << Préc | [ index ] | Suiv >>
_

( Extrait du magazine "HARD-ROCK MAGAZINE" (n°108 - Novembre 1993). )


lls en ont fait du chemin, Anthony Kiedis et Flea,
avant d'être propulsés en tête des hit-parades américains
avec les percutants «Give It Away» et «Under The Bridge».
Du groupe de la Fairfax high school réunissant
Anthony et le défunt Hillel Slovak
jusqu'à l'enregistrement de Blood Sugar Sex Magik,
en huis clos avec Rick Rubin, dans un manoir hanté,
voici l'itinéraire du plus pétillant combo
alternatif de Californie.

Red Hot Chili Story, deuxième. Un an et demi après les secousses fonky-sismiques de l'éblouissant Blood Sugar Sex Magik, nous voilà repartis pour remettre le couvert. Vous êtes verts ? Moi aussi. Car si l'aboutissement indéniable de ce grand chef-d'oeuvre pepperien autour d'une formation apparemment enfin stable méritait effectivement tous les honneurs de ce généreux épanchement chronologique nommé « story », on pourrait aujourd'hui se demander de quoi s'alimente telle commande : nouvel album ? ! Autre festival itiné-délirant en tête d'affiche ? Rafle toutes catégories lors d'un de ces passages de pommade collectif autocongratulants MTVisés dans le monde entier ? Nouvel outrage groupé aux bonnes moeurs de quelques rednecks aigris du pour l'idiot de service. Au fil du temps, on est donc devenus "l'idiot et les trois génies", mais, à la base, les Red Hot Chili Peppers sont un accident, juste la réunion de quatre individus qui aimaient la vie, la musique et briser les barrières de la médiocrité ambiante avec la même ferveur... » : Anthony Kiedis on MTV.

La Rencontre avec Flea

Hollywood, Los Angeles, quelque part dans la deuxième moitié des 70's. Anthony Kiedis a quitté le domicile paternel juste après ses 16 ans, et sa crête d'Iroquois frétille alors sur les pogos musclés de la scène hardcore naissante. C'est là qu'il rencontre Hillel Slovak, avec qui il partage d'abord ses quatre cents coups au palais des excès de luxe, avant de conclure philosophiquement : « A 16 ans, on a l'illusion qu'on ne s'usera pas. Heureusement, on finit par s'ennuyer. A la sortie de ce genre de parcours, il n'y a pas trente-six solutions : on ne vas pas travailler dans un bureau. On reste sur le carreau ou on monte sur une scène. »

Dans cette dernière et louable optique, l'amitié qui lie Hillel à un certain Michael Balzary, dit « Flea », va s'avérer déterminante pour l'avenir musical d'Anthony. Trompettiste accompli, élevé à l'école d'un père musicien de jazz, ce Flea peu ordinaire s'est vu apprendre les rudiments de la basse électrique par Hillel lui-même, qui voulait alors le convaincre de rejoindre Anthem, son groupe de lycée qui se transformera ensuite un instant en Fear, avec le guitariste Jack Sherman. Avec son autre pote, Cliff Martinez à la batterie, l'accord tacite s'étend brusquement à la participation d'Anthony, qui introduit alors le show... ou plutôt l'unique morceau des futurs Red Hot Chili Peppers d'un rap d'anthologie, un soir de déjante locale...

« Notre tout premier concert fut une énorme farce. Gary Allen, un bon ami à nous, faisait une sorte de numéro de cabaret étrange et un peu barré, une danse synchronisée en costume de freaks, et il nous avait demandé de trouver un lever de rideau dans le même esprit pour compléter la farce. Finalement, on s'est trouvé nous-mêmes -- Anthony, Hillel, Jack et moi -- mais sans avoir répété, ne serait-ce qu'une seule fois... J'avais une ligne de basse funky, Anthony un poème et aucune expérience du micro. Nous jouâmes ce seul et unique morceau mais, à la fin, les gens étaient devenus comme fous, hystériques ! C'était "Out In L.A.". Ce qui est étonnant, c'est que le suivant attira déjà le biz et qu'il nous fallut peu de temps, en fait, pour signer chez une maison de disques. On avait bossé si dur avec nos groupes précédents -- j'avais travaillé avec Fear, tandis qu'Hillel et Jack Sherman s'étaient totalement investis dans le leur, What Is This ?. Mais là, toutes ces majors voulaient nous signer immédiatement, nous et notre groupe-farce ! » explique Flea.

Ce sera EMI, paradoxe s'il en est si l'on considère que la même maison de disques qui s'était fait huer en chanson par fond de leur fauteuil-légume? Nenni, frères de fonk, rien de tout cela. Non. C'est encore un tour de basse poisse que joue le poste de guitariste aux Red Hot Chili Peppers, un tour en passe d'être déjoué à nouveau alors que la news tombe sur les téléscripteurs : Dave Navarro, ex-Jane's Addiction et membre honoraire d'lnfectious Grooves, serait officiellement aujourd'hui le nouvel homme de la situation. C'est là que recommence notre histoire...

« Il y avait cette ancienne ruine mystique, décadente et décrépie que l'on appelait "Hollywood" et les Red Hot Chili Peppers sont sortis de cette ruine gonflée d'attitude psyché-cosmique... On était tous à la Fairfax High School et moi, au milieu de mes meilleurs potes, tous musiciens d'exception, je passais un peu les Pistols signait là un autre groupe d'agitateurs sevrés à la punkitude. Mais plus que le pessimisme affiché par les aînés, c'est d'incitation à la débauche joyeuse qu'il s'agit avec ces Red Hot' et le funk joué « punky » naît alors sous une avalanche de peintures guerrières et d'hymnes à la sauvagerie retrouvée «True Men Don't Kill Coyottes», «Get Up And Jump», «Baby Appeal» sur le premier album éponyme, circa 84.

« On était jeunes, affamés de tout, et l'expérience fut fantastique, car on ne savait rien. On a chargé le studio armés de ces quelques premières ritournelles punk-rock à tendance funky, et c'était parti...» se souvient Anthony Kiedis.

Remarqué par George Clinton

L'éclate promulguée par le groupe et l'esprit très cartoon de sa frénésie d'action n'échappe pas au grand parrain du groove cosmique, l'inénarrable George Clinton, qui propose aussitôt de produire le deuxième album des furieux blancs-becs dans sa ferme, la « Clinton Farm », son studio personnel ! Nous sommes en 1985. « Une expérience sensationnelle, puisque nous voilà dirigés par Clinton himself, un dieu vivant de la musique funk, mais aussi un adorable "ours cosmique" ! » dit Anthony.

Avec la caution du pape du délirium fonky et l'étoffement musical apporté par les connaissances cuivrées du père Flea -- « Jungle Man », « Hollywood », « American Ghost Dance », « Yertle The Turtle » et la reprise de Sly Stone, « If You Want Me To Stay » -- Freaky Styley semble paré pour le grand décollage, même s'il faut encore faire passer la pilule « funk » aux plus « metal »... « On dirait que funk est un sale mot parce qu'il rappelle d'abord aux gens tout ce disco de la fin 70. Mais, bordel, le funk peut être aussi plombé que le metal ! Ces gens-là devraient faire l'effort d'écouter certains albums de Funkadelic et ils comprendraient ce que je veux dire ! » commente Flea. « Plus nous donnons d'interviews, plus les âneries du genre "vous êtes blancs et vous jouez du funk ?" disparaissent des entretiens. Je crois qu'on les sensibilise au fait qu'il est vraiment stupide de réagir comme une bande de racistes attardés lorsqu'il s'agit d'apprécier de la musique... » explique Anthony.

Profitant de la portée média-mythique de ce coup de pouce royal, les Peppers écument alors leur terre natale au son de leur psycho-heavy-rapunk-fonk, un engin porté par la folie tous azimuts du clip de « Jungle Man » et surtout par sa vidéo chaude, le punkoïde et satyrique « Catholic School Girls Rule », un vrai sacrilège visuel boycotté, comme il se doit, par la censure. Deux ans plus tard, la route et la pratique intensive de la scène sauce inflammatoire ont largement émoustillé le vecteur inspirateur de la troupe et les Chili Peppers entrent en studio pour y concocter leur troisième coup de rein fonky. Il fait mal : endurci au metal, le déhanchement libre en bandoulière et le sticker «Explicit lyrics» bien incrusté dans sa pochette, le tout fou The Uplift Moto Party Plan est l'album qui va asseoir le succès croissant des drilles chez eux et le catapulter aussi sec chez nous, en Europe, où pas un Pepper n'a encore posé le pied.

Produit par Michael Beinhorn, un type qui officie pour un groupuscule artistique adéquatement nommé « Demolition Sound » et qui mettra même la main aux choeurs, ici partagés avec deux ambassadeurs de Fishbone, les voisins (Angelo Moore et Norwood Fischer), The Uplift... peut se targuer d'un son monstrueux au service de nouveaux cris de guerre divers (« Funky Crime », « Organic Anti-Beat Box Band », « Fight Like A Brave ») et d'un nouveau batteur surpuissant, Jack Irons. Les plus ouvertement frippons seront, quant à eux, bien évidemment sujets à controverse (« ... J'veux faire la fête sur ton minou, bébé ! » -- "Special Secret Song lnside", « Emmène-moi dans ton sous-bois, tout de suite ! » -- "Backwoods"). « Certaines personnes nous traitent de sexistes parce que l'on chante "Party on your pussy" ou qu'il m'arrive de mêler le geste à la parole. Mais, après tout, si le sexe est important pour quelqu'un, je ne vois vraiment pas pourquoi il se gênerait pour l'exprimer en chanson... » se défend Anthony.

Tout nus sur scène

Alors imaginez un peu la troupe au complet débarquant enfin à Paris, en chair et en os, en cette année 1987. Après une journée promotionnelle menée « toutes voiles dehors » par un Anthony Kiedis surexcité -- lors d'une séance-photo en extérieur, l'apollon avait sorti l'oiseau juste devant l'objectif et une attachée de presse... scotchée ! --, les Peppers mettent le Rex Club à genoux, notamment le pourtant chevronné Georges Amann, qui reste « boulverstatufié » après la tornade. Rien ne semble pouvoir les arrêter. Début 1988, le groupe continue sa route européenne, défiant les lois de la pitrerie et du choc thermique en apparaissant nu sur la scène d'un festival finlandais, nu tout debout, en Finlande, en plein mois de février, à la seule exception d'une chaussette... sur le sexe, pour la reprise du « Fire » de feu Hendrix ! Disponible en vidéo sur la compilation clipée des Red Hot', Positive Mental Octopus, la farce pousse plus loin le bouchon et reste gravée pour la postérité sur la pochette de l'Abbey Road E.P., une parodie des Beatles version nu... quasi intégral. C'est le début de la légende. Avec son revers de médaille, bien entendu. « En Europe plus qu'ailleurs, tout le monde s'attend à ce que nous débarquions chaque fois avec nos chaussettes sur la bite, comme si nous n'avions pas déjà quatre albums de titres originaux à notre actif, ce qui est infiniment plus important pour nous » s'étonne Anthony.

Et puis la farce tourne à la tragédie. Après un deuxième passage en France pour un sprint scénique tonitruant, quoiqu'un brin brouillon en ouverture de Midnignt Oil, au Zénith, la nouvelle pétrifie les fans des dieux de l'arène psycho-fonk. Entrée par la petite porte d'une « expérience comme une autre », la dope s'était doucement immiscée dans le quotidien des athlètes et elle vient brutalement à bout du guitariste Hillel Slovak, en plein mois de juin. Too much Silly, Pepper... C'est le désarroi et chacun accuse le choc comme il peut. Le batteur Jack Irons a du mal à encaisser et il décide finalement de quitter la tornade (d'abord avec Joe Strummer, ex-Clash, maintenant avec son groupe, Eleven), laissant Flea et Anthony s'occuper de la sauvegarde du flambeau pimenté. Et ces deux-là sont forts, Kiedis partant s'isoler au Mexique pour raccrocher les gants de sa propre dépendance, Flea bichonnant sa toute première progéniture, Clara. Du coup, The Uplift Mofo Party Plan prend une nouvelle dimension...


par Dominique DUJEAN


(   )

( << Préc | [ index ] | Suiv >>
_

[retour en haut de la page]