( Articles de presse )
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Red Hot Chili Peppers - They're Red Hot


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( Extrait du magazine "Guitare & Claviers" (n°124 - Novembre 1991). )

Les Dieux de l'Olympe de la West Coast refont surface. Les Red Hot Chili Peppers sortent en effet leur cinquième album, « Blood Sugar Sex Magik » ! Mieux maîtrisée qu'autrefois, la musique de ces garçons de plage tatoués jusque derrière les oreilles, s'éloigne des clichés du hard funk pour enfin aboutir à du rock plus sobre et surtout plus sincère. Rencontre avec un guitariste de plus en plus surprenant, un bassiste de plus en plus fin et un chanteur de plus en plus fier de lui depuis qu'il a découvert... la peinture !

Dimanche 4 mars 1990, l'Elysée Montmartre fut réduite à l'état de poussière ! Quelques heures avant ce constat, la scène s'était effondrée et soixante-quatre corps avaient été ramassés. Les services de la météorologie nationale avaient relevé plus de soixante degrés centigrades au coeur de la salle. Les dessous de bras des spectateurs avaient ainsi été rapidement transformés en éponges. Sur scène les quatre Marsupilamis donnaient l'impression d'amplifier les délires ambiants. A leurs pieds, des hordes d'amazones américaines se frottaient contre les barrières de sécurité en arrachant une à une les étoffes faisant offices de porte-bazooms et de cache-pelouses. Les videurs de l'Elysée déposèrent très rapidement les armes. Bon, il est vrai que ce rapide compte-rendu du dernier concert parisien en date des Red Hot Chili Peppers est légèrement exagéré. Légèrement. En effet, le phénomène Red Hot, comme on aime le baptiser, a non seulement ravagé toute la côte ouest des Etats-Unis mais également bien entamé le reste du monde. En cinq albums les « Dieux du Funk Sexuel » ont bel et bien créé un genre dans lequel George Clinton serre la main d'Hendrix et Jimmy Page celle de James Brown. Que le résultat soit du hard funk de la soul metal ou du heavy rhythm'n'blues, la musique de John Frusciante (guitare), Flea (basse), Chad Smith (batterie) et Anthony Kiedis (chant) devient de plus en plus passionnante. « Blood Sugar Sex Magik » (WEA) arrive en effet à temps pour crier à la face des grincheux qu'un disque des Red Hot ne se limite pas à un marathon de slap et à une succession de riffs épileptiques. La philosophie guitaristique de Frusciante est bien éloignée de celle de ses confrères de chez Extreme, Quennsryche, Skid Row et autres Warrant. Si heavy metal peut encore signifier quelque chose en 91, le quartet de Los Angeles est un des éléments de la solution.

John Frusciante (guitare) : Notre musique est nettement plus colorée que par le passé. C'est réellement fabuleux ! Jusqu'ici je n'avais jamais pris quelque chose aussi sérieusement dans ma vie.

Anthony Kiedis (chant) : En plus, « Blood Sugar Sex Magik » est un événement : c'est la première fois que nous sortons deux LP de suite avec le même line-up.

John : Je ne suis pas totalement d'accord car « Mother's Milk » était signé Anthony, Chad, Flea et moi tandis que « Blood Sugar Sex Magik » est véritablement un album signé Red Hot Chili Peppers. C'est une entité et non un collage. Nous avons enfin grandi hors de l'amour et l'admiration que nous pouvions avoir pour chacun d'entre nous.

Vos fans ne risquent-ils pas d'être surpris par certaines compositions parfois éloignés de l'équation habituelle : Red Hot = hard + funk + slap ?

Anthony : C'est l'avantage des attentes. Les gens risquent en effet d'être étonnés par ce nouveau disque. En tant que groupe, nous n'avons aucune attente par rapport à nous-mêmes. « Blood Sugar Sex Magik » est sûrement le plus funky de nos albums depuis « Freaky Styley ». L'acoustique, les ballades sont des éléments nouveaux pris davantage en compte par rapport à nos enregistrements passés. Sûrement notre disque le plus personnel. Il faut également signaler qu'il a été enregistré dans des conditions bien particulières. Nous avons loué une énorme maison sur Hollywood dans laquelle tout a été fait de A à Z. Adieu les habituels studios, le stress, les gens que l'on croise entre les prises et qui n'ont rien à voir avec nous... Par exemple, je faisais les vocaux directement dans ma chambre et au lieu de voir à travers ma fenêtre trois ingénieurs du son en sueur, je pouvais regarder les arbres et les fleurs (sourire).

Votre producteur Rick Rubin (Run DMC, Slayer, Beasty Boys, Bangles, L.L.Cool J mais aussi l'homme qui signa les Black Crowes, NDR) peut être considéré commme une pièce maîtresse pour ce nouvel LP ?

Anthony : Tout à fait. La majeure partie des chansons furent toutefois écrite avant l'arrivée de Rick dans notre immense villa. Lorsqu'il a débarqué, il s'est infiltré en douceur dans notre monde tel un meuble : il écoutait nos répétitions, ne disait mot, partait faire la sieste, revenait et ainsi de suite. Puis, après avoir pris la température, il s'est rendu compte que notre musique ne pouvait guère être captée dans un studio classique. Nous étions seuls dans cette grande baraque. Seule la fille de Flea, âgée de deux ans, est restée les premiers jours.

Rubin vous a-t-il laissé entièrement libre ?

Anthony : En fait, c'est lui qui était entièrement libre ! (sourire). La tendance actuelle est à la surproduction. Certains doivent sûrement penser que si l'on n'entend pas cette dernière, on pensera qu'ils n'auront rien glandé ! Rick est très intelligent car il connaît la valeur de l'espace. Il sait que l'espace crée plus d'énergie que l'absence d'espace. Ses suggestions étaient à chaque fois très touchantes et totalement orientées dans l'optique Red Hot Chili Peppers. C'est un type très créatif.

Le disque se conclue par une reprise de They're Red Hot de Robert Johnson. Pourquoi ce choix ?

Anthony : Au départ, c'est une idée de Flea. John écoutait Robert Johnson bien avant que Columbia réédite ce superbe double CD. Flea n'arrêtait pas de dire « reprenons They're Red Hot, reprenons They're Red Hot ! ». Un soir, on a tiré du câble derrière la villa, sur une petite colline. Il était deux heures du mat et en dix minutes on a mis la chose en boîte. Chad a joué de la batterie à mains nues. Si on écoute bien, on entend même les grillons en fond sonore. Prochainement, tout le monde pourra déguster ces anecdotes car un de nos amis vidéastes a filmé notre séjour dans cette maison durant toutes les étapes de l'enregistrement. Ça sera commercialisé assez rapidement.

Votre jeu de guitare est de plus en plus passionnant ?

Flea (basse) : Le jeu de John est vraiment devenu très pur et spontané. Il ne considère jamais son travail en termes de répétitions et de redites. Il préfère capturer le feeling naturel et ne joue jamais la carte de l'overdub.

John : Presque tous mes solos de guitares proviennent de la première prise. Sur Funky Monks, je fais tout sans médiator, même le solo. D'ailleurs, je m'en sers de moins en moins.

Le solo de Funky Monks est très libre rythmiquement ?

John : Je l'ai un peu fait comme une parodie du solo classique de rock star. L'intro est faite de guitares électriques non branchées, enregistrées acoustiques. C'est la même technique utilisée par Dave Navarro de Jane's Addiction sur Been Caught Stealing. Snakefinger a été l'un des premiers à le faire. Ma guitare principale est une Strat de 58. J'en ai également une de 57 que l'on m'a niqué en posant des frettes trop hautes. Ça m'a fait gerber et j'ai tout de suite ordonné qu'on me la transforme en fretless. Je l'utilise sur le solo de Mellow Ship Slinky. Pas mal de gens pensent que ces frettes hautes favorisent les effets de vibrato. J'ai pour principe d'utiliser le vibrato le moins possible. Je l'aurais fait davantage si mes cheveux avaient été plus longs (sourire). J'utilise une guitare électrique sitar sur Blood Sugar Sex Magik et une Gibson lap steel pour le début du solo de The Righteous And The Wicked. L'acoustique que j'utilise est une Martin. Mais ma guitare préférée restera toujours ma Fender Jaguar toute ripou. Mes seuls effets furent un Electro-Harmonix Big Muff et une wah wah Ibanez. Je branche toujours mes armes sur une combinaison d'amplis basse et guitare Marshall.

On a qualifié votre musique de punk funk fusion. Comment réagissez-vous par rapport à toutes ces étiquettes ?

Flea : Parfois, j'écoute les groupes que nous avons influencés et le résultat est plaisant. Malheureusement, je pense que trop souvent les gens ne retiennent que les aspects superficiels de notre groupe. Par exemple, un bon nombre de bassiste de métal, qui ont été sous mon influence, sombrent dans le marathon du slap, c'est le vrai « slapathon ».

John : Axl Rose nous a dit qu'il avait les Red Hot en tête lors de la composition de Rocket Queen.

Flea : Et le Get The Funk Out d'Extreme est une pâle copie des Chili Peppers. Ce thème est tout clean, il n'a aucune crasse en son coeur. Il sonne comme une pure création de studio. C'est la plus anti-funky merde que j'ai jamais entendu !

Après tant de haine, vous avez sûrement de l'amour à revendre quant à vos guitaristes préférés ?

John : La liste est assez longue : Eddie Hazel de P-Funk, Robert Johnson, James Williamson des Stooges, Snakefinger, D. Boon des Minutemen, Lightnin'Hopkins, Leadbelly, Tom Verlaine, Danny Whitten de Crazy Horse. Mais l'inspiration la plus importante pour moi fut incontestablement le jeu de Zoot Horn Rollo sur « Trout Mask Replica » de Captain Beefheart. Si je m'écoute ça au réveil, je suis sûr de passer une bonne journée.

Flea : Nos choix se font à un niveau simple. Il y a ceux qui ont une âme et ceux qui n'en ont pas ! On peut ainsi voir la beauté chez Eric Dolphy, les Ramones et tout ce qu'il y a entre les deux !

John : Certains gratteux sont persuadés de devenir bons parce qu'ils ont de grandes capacités techniques. Ces facilités techniques ne suffisent pas. En fait, l'essentiel et le plus difficile, c'est de jouer en se laissant le plus aller possible, avec une totale concentration. Prenez Lou Reed du temps du Velvet Underground. Ce qu'il faisait était vingt fois supérieur à ce que peut faire aujourd'hui un type qui bosse sa technique vingt heures par jour.

Pour en revenir à votre influence sur les autres groupes, la basse slapée qui fut pour beaucoup dans vos premiers succès semblent être redécouverte par plein d'artistes. Ne trouvez-vous pas que c'est un peu l'overdose ?

Flea : Je slape très peu sur notre dernier album à part sur Naked In The Rain. Vous savez, je lisais dernièrement dans Bass Player une interview de Kim Gordon de Sonic Youth que je respecte entièrement. Elle disait adorer la basse dans le funk mais détestait lorsque c'était un blanc qui en jouait car il tombait rapidement dans un jeu très macho. Et en lisant, je savais que j'étais en partie responsable de cette tendance. Vraiment, sur « Blood Sugar Sex Magik », je ne fais rien de ça. J'essaie de jouer simple et beau. J'espère que Kim ne me déteste pas car je l'apprécie énormément. Cela dit, certains artistes délaissent de plus en plus le slap. Ce sentiment d'avoir juste un groove sans entendre des notes bien précises vient de ce que les rappers font avec leur Roland 808. Autrefois, j'étais complètement anti-boîte à rythmes. Je pensais que tout ce qui touchait aux ordinateurs foutait la musique en l'air en l'éloignant de l'émotion purement humaine. Désormais, je suis scié par la créativité d'un type comme Hank Shocklee (producteur de Public Enemy, NDR). Ses collages sont étonnants et possèdent énormément de valeur émotionnelle. J'ai vraiment appris que tout est dans l'artiste et non dans les instruments qu'il utilise. Certaines personnes sont si fières de jouer de la gratte de manière macho, qu'elles ne peuvent pas encaisser que d'autres puissent utiliser des machines. C'est une attitude débile surtout depuis que la majorité des groupes de rock; tous ces Winger et ces Poison, jouent de manière cynique et préfabriquée. C'est de la musique surgelée. Le hard ricain est désormais l'un des plus secs. Pourtant, il y a de vraies bonnes formations de hard rock. Jane's Addiction, par exemple. 90 % de la pop n'est que de la merde !

Anthony : Les membres de Fishbone sont également très brillants. Personne ne peut les atteindre ! Et, Public Enemy ! Ils m'étonnent à chaque fois ! A côté de la musique, nous avons, surtout John et moi, une passion dévorante : la peinture. D'ailleurs, ma première émotion artistique, je l'ai ressentie à Paris à dix-neuf ans devant une sculpture au musée du Louvre. Un truc avec des ailes, je ne sais pas si vous connaissez ?

Merci ça s'appelle « La Victoire de Samothrace » !


par Marc Zisman


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