( Articles de presse )
_

Chad Smith
Californibatteur


( << Préc | [ index ] | Suiv >>
_

( Extrait du magazine "Batteur Mag" (n°125 - Juillet/Août 1999). )

Edito

A la rédaction, nous nous sommes longuement concertés : les Red Hot Chili Peppers est un des groupes les plus populaires qui soient chez nous, et Chad Smith de loin un de vos batteurs préférés. Mais il a déjà fait la couv' de Batmag à deux reprises, la dernière fois voilà tout juste un an. En remettre une couche pour l'été pouvait sembler redondant. Et puis zut! Nous aimons ce groupe, nous aimons son batteur, et vous aussi, alors pourquoi se priver d'un plaisir partagé ? Le retour des Red Hot a certes déjà fait la Une de toute la presse rock du fait de la sortie de l'album "Californication", mais cette interview exclusive est la seule donnée en France par un membre du groupe, un privilège de batteurs qui est donc le votre. Chad vous donne rendez-vous au mois d'août pour les concerts des Red Hot de Nîmes (aux arènes le 25) et Paris (Zénith le 26). L'été s'annonce brûlant, musicalement s'entend, car météorologiquement le temps est encore à l'orage alors que nous écrivons ces lignes...


Les Red Hot sont en ville et doivent donner un concert surprise dans une petite salle parisienne et une télé le lendemain, prélude à leur tournée qui passe par la France en août (arènes de Nîmes le 25, Paris/Zénith le 26). Rien d'autre. Ils ont refusé systématiquement toutes les demandes d'interviews. Pour saluer néanmoins dignement le retour du groupe, nos confrères ont tous publié des interviews américaines. A Batmag, nous ne sommes pas plus malins que les autres, mais confiants dans la solidarité des batteurs. On se dit qu'il nous suffira de joindre l'ami Chad pour avoir notre interview. Ca s'annonce cependant serré, à trois jours du bouclage qui plus est. Mr Smith est arrivé lundi à Paris. Il loge dans un hôtel branché, assez loin du Sénat. Mais impossible de le joindre, il est descendu sous un faux nom. L'attachée de presse de WEA, une des plus sympa et efficaces que nous connaissons, ne peut pas nous aider davantage. La production a dit non. Mardi, jour du concert, on se pointe à la salle dans l'après-midi, mais les pitbulls de l'entrée sont encore moins enclins à la négociation qu'un dictateur serbe. Le chef de produits de la maison de disques n'est d'aucun secours. Mais à la fin de la balance, le groupe sort pour s'engouffrer dans une limousine. Chad nous aperçoit et fend la foule de fans pour tomber dans nos bras. Il s'était enquis de nous la veille, mais sa requête s'était évaporée dans le champagne. Tout est aussitôt arrangé.

Nous avons rendez-vous le lendemain après-midi sur le plateau de Canal+. Seuls journalistes présents, nous y retrouvons le groupe qui fait ses balances pour l'émission Nulle Part Ailleurs. L'attachée de presse est ravie et confirme notre exclusivité. Chad est fatigué mais heureux ; après le concert de la veille, il y a eu une fête jusqu'à l'aube. Là, il est rentré à son hôtel avec un cadeau spécial : deux tapineuses de haut vol, directement sorties d'un cabaret de cow-boys. Il a peu dormi mais ça ne se voit pas. Il joue toujours aussi bien, c'est un régal de l'entendre, surtout de près. Entre les divers réglages de son et lumières, il joue au ballon dans les cintres, fait subir les derniers outrages à son technicien Chris Warren, et nous parle de l'album tout chaud, le délicieusement nommé "Californication", qui marque le retour dans le groupe de son mythique guitariste John Frusciante.

Enfin un nouvel album. 0n peut dire que les fans l'attendaient depuis longtemps !

Comme chacun sait, nous avons opéré un changement de guitariste, ce qui a nécessité un certains temps. quand John est revenu dans le groupe, il nous a fallu d'abord composer des nouveaux morceaux puis ensuite les enregistrer. Globalement, la réalisation de cet album aura pris un an.

Es-tu heureux du retour de John Frusciante au sein des Red Hot Chili Peppers ?

Oui, énormément, c'est un musicien très stimulant, l'un des plus impliqués que je connaisse, il est dans la musique vingt-cinq heures sur vingt-quatre. Dans un groupe, la spontanéité est une chose importante. Il n'y a rien de mieux que quatre mecs qui boeuffent ensemble dans dans un local. De super morceaux naissent parfois ainsi. Nous avons retrouvé le même plaisir de jouer que quand nous étions gosses. Cette phase de création a duré environ six mois, dans le garage de Flea. C'était en plein été, on suait abondamment et les voisins passaient nous dire : " Ce morceau est bien, celui-là n'est pas terrible ". En janvier, nous avons enregistré vingt-trois chansons, dont les prises de base ont été faites en cinq jours. Ce qui est plutôt rapide, mais nous avions beaucoup de matière et étions bien préparés, il ne restait plus qu'à jouer et capturer l'énergie sur bandes. Cet enregistrement s'est fait avec beaucoup de facilité. A la fin du mois, l'album était bouclé.

Vous avez tout enregistré live, y compris la voix ?

Oui, à l'exception de quelques petites percussions. Anthony chantait avec nous pendant que nous jouions, mais il a refait ses parties ensuite.

Le son de l'album est très particulier, notamment celui des caisses claires. Tu en as manifestement utilisé plusieurs.

J'ai joué pratiquement tout avec la même batterie, mais j'ai eu recours à quatre ou cinq caisses claires selon les morceaux. Pour chaque titre, j'essayais d'abord celle qui me semblait convenir a priori, puis avec Rick Rubin, le producteur, nous écoutions et changions éventuellement. Le choix de la caisse claire est un facteur important qui détermine en partie le caractère d'une chanson. En règle générale, j'utilise un petit modèle sur les morceaux rapides, et quand il y a plus d'espace, j'opte pour un fût plus profond. J'ai utilisé principalement une DW Edge et quelques Ludwig.

Et pas du tout ton modèle Pearl Signature ?

Non, ah ah ah, celle-là, je l'ai laissée à la maison. C'est plutôt une caisse claire de scène.

Tu es fier d'avoir un modèle de caisse claire qui porte ton nom ?

Bien sûr, mais pas tant que ma maman. Elle en a une dans son salon.

Tout comme des baguettes chez Vater, les Chad's Funk Blaster, et des cymbales chez Sabian, les Explosion Crashes ?

Qui aurait cru ça quand j'étais gosse ? Et je vais bientôt signer des préservatifs, les Funk Plastic !

Avec un centimètre en plus ! comme tes cymbales ?

Ah ah ah, exactement ! Je vais vous avouer la vérité pour les cymbales. Pour enregistrer, j'ai toujours utilisé des Paiste Signature, d'excellente cymbales, surtout en studio. Mais elles cassent facilement. J'ai dit aux gens de Sabian que je jouerais volontiers sur les leurs s'ils en avaient des modèles s'en approchant. Et ils me les ont faites.

A quand une ride dans la même série ?

Bof, je joue surtout des crashes vous savez. En revanche, je songe peut-être à des splashes. J'aime beaucoup les Ufip en ce domaine.

On voit que tu es toujours resté un grand amoureux de la batterie.

Plus que jamais. Je suis un grand fan de musique, et de batterie, et heureux d'être un batteur. Récemment, j'ai acheté à Stockholm une Ludwig Vistalite avec une guirlande lumineuse dans les fûts, le modèle Tivoli, en état moyen, avec les peaux originales Silver Dot. J'ai aussi un paquet de caisses claires, dont une Ludwig des années 50, en cuivre, avec le badge WFL. Je ne suis pas vraiment un collectionneur, mais j'aime bien ça. Ca sert de décoration dans ma maison. Comme tout le monde, en studio j'utilise toutes les marques. Pour Pearl, ce qui compte est ce qu'on voit ssur les photos. Mais il n'empêche que ce sont de très bonnes batteries. Je pense d'ailleurs que le haut de gamme de toutes les grandes marques est du matos d'égale qualité. La différence est une question de goût personnel.

Pour l'album, comment as-tu élaboré tes parties de batteries ?

La plupart d'entre elles sont venues en boeuffant. Parfois, Flea ou John ramenaient une idée de chez eux, mais pour moi la première impression est souvent la bonne, ce que je joue d'instinct au départ. Il arrive que l'on cherche, que l'on réfléchisse, mais ce qui sort spontanément de la charleston et de la caisse claire est très souvent ce qu'il y a de plus adéquat. Il est cependant parfois bon d'avoir d'autres suggestions, pour sortir du mode de pensée strictement batteur, et j'apprécie à leur juste valeur les propositions des autres, qui ne sont de toute façon jamais directifs. Chacun donne son avis sur tout. Très franchement, c'est très délicat d'expliquer le processus de création d'une chanson. Il y a beaucoup de paramètres intangibles, indéfinissables. Une chose est sûre : quand c'est bon, ça fait du bien, on le sent tout de suite.

Sur les vingt-trois morceaux enregistrés, il n'en reste plus que quinze sur le disque. Jouerez-vous néanmoins les autres sur scène ?

Peut-être, à l'occasion, mais ça sortira probablement en faces B ou sur des bandes originales de films, on a toujours besoin de quelques titres supplémentaires. Il y a de vraiment bonnes chansons dans le tas, ce fut dur de choisir.

Le répertoire de votre tournée cet été sera-t-il principalement constitué de chansons du nouvel album ?

Nous ferons un mélange d'anciennes chansons et de nouvelles, ces dernières étant évidemment les plus intéressantes pour nous. Mais il est évident que le retour de John dans le groupe nous donne un bain de jouvence, avec lui, nous improvisons tout le temps.

Sur certains titres, il y a plusieurs pistes de guitare. Ca ne va pas poser problème quand vous allez les interpréter sur scène ?

Je ne pense pas, Flea et moi allons certainement jouer plus fourni, mais sans en mettre partout non plus. Il ne faut pas nuire à la musique. Nous avons un son assez dense en général, mais il se peut qu'on ne joue pas certaines chansons à cause de ça.

Qu'aimes-tu entendre dans tes retours ?

Tout, et plus fort que tout le reste ! Malheureusement pour moi, je n'utilise pas d'oreillette de retour, je suis de la vieille école, j'aime sentir les vibrations dans les couilles. Et j'aime bien que ce soit fort. Mais j'avoue que mes oreilles commencent à siffler, et ça m'inquiète. Je me vois en grand-père gueuler après mes petits-fils qui se foutent de moi sans que je les entende : "Je vous ai entendu, petits cons". J'ai des protections auditives, je les porterai peut-être sur cette tournée mais il faut que je m'y habitue, je n'aime pas ce son assourdi.

Tu t'entraînes beaucoup avant une tournée ?

Pas mal, oui, les deux semaines précédant le départ.

Pourquoi ce titre, "Californication" ?

La Californie, et particulièrement l'industrie du spectacle de Los Angeles, est "plastique", pleine de gens intéressés, de conneries, de superficialité, c'est à gerber. Cette industrie exerce une mauvaise influence sur toute la planète, et nous le voyons de l'intérieur puisque nous en faisons partie. Nous avons pensé que c'était un bon titre, mais ma maman ne l'a pas aimé du tout !

Cet album sonne plus pop que les précédents.

Mais qu'est-ce que vous avez tous à dire que c'est de la pop !

Bon, disons punk pop alors.

Ah ouais ? bon, si vous voulez.

C'était une remarque, pas une critique !

Je ne l'ai pas pris comme ça, mais quand j'entends parler de chansons pop... Peut-être que les mélodies sont accrocheuses mais nous ne sommes pas du genre à vouloir sciemment faire un certain style de musique, notre propos est simplement de jouer ce qui nous plaît, être nous-mêmes, sans chercher à imiter personne. Nous ne faisons que du Red Hot Chili Peppers, sans calcul d'aucune sorte.

Il y a en tout cas plusieurs chansons que l'on retient facilement. Ca sonne moins funky qu'auparavant, Flea joue différemment, parfois même avec un médiator !

Heureusement pour lui. Il slappe comme un fou depuis vingt ans, il ne va pas faire que ça jusqu'à sa mort. Il a commencé à jouer un peu au médiator lors de la tournée de Jane's Addiction aux USA, et a joué ainsi sur le disque pour varier un peu et accentuer les mélodies. Quant à Anthony, il chante mieux que jamais.

Et ton album avec Dave Navarro, "Spread", le projet est enterré ?

Pas du tout, c'était quelque chose de parallèle aux Red Hot Chili Peppers, maintenant Dave continue tout seul. Nous avons enregistré et mixé. Ca sortira certainement un jour.

Tu as d'autres projets sous le coude ?

Je vais jouer un titre sur l'album de Tony Iommi, le guitariste de Black Sabbath. Flea sera à la basse et Henry Rollins va chanter. John Frusciante est comme moi un grand fan de Black Sabbath.

Puisqu'on en est au chapitre "idoles de jeunesse", parlons du dernier disque de John Fogerty sur lequel tu as joué...

L'un des premiers disques que j'ai eu était "Cosmo's Factory" de Creedence Clearwater Revival. J'ai passé des heures à regarder cette pochette dans les moindres détails, le look de la batterie, les chemises, le vélo, on ne peut plus faire ça avec les CDs, je le regrette. C'est Ross Garfield, le Drum Doctor, qui m'a branché sur cette séance avec Fogerty. C'était un grand honneur pour moi. Il y a plein de supers batteurs sur ce disque. Avant moi, c'était Steve Jordan sur la feuille de séance. J'ai demandé ce que je devais faire, on m'a juste dit de jouer en étant moi-même. John a fait interpréter chaque morceau par cinq batteurs différents puis a choisi. Et j'ai joué ce morceau sans arrêt, une bonne vingtaine de fois ! Au début tu es là, avec le bassiste et John Fogerty, et tu dis : super. On écoute la prise, puis on la refait. Bon d'accord, on y retourne. Et ainsi de suite toute la journée. Et le lendemain, on revient au studio et on refait onze prises ! Je ne suis pas habitué à ça. Avec les Red Hot Chili Peppers, on refait une ou deux prises et on passe à autre chose. Je vais vous raconter une anecdote. Je me déplace parfois en voiture, parfois en moto. Là, je répétais pendant trois heures avec les Red Hot Chili Peppers et je fonçais directement au studio enchaîner avec Fogerty. Eh bien, à la fin de la répétition, j'avais John au téléphone qui me précisait de venir en voiture et non pas en moto pour conserver mon énergie intacte ! Amusant non ?

Vous venez d'effectuer une petite tournée pour les écoles pour sensibiliser les jeunes aux problèmes de violence aux Etats-Unis...

En effet, le mois dernier. Vous avez entendu parler de cet incident (sic) dans le Colorado, la violence est partout. Notre musique est positive et nous avons voulu prendre position contre cette folie, que les jeunes réfléchissent sur la violence, se protègent du sida, etc. Nous avons simplement pensé que ce serait une bonne idée de faire quelques concerts pour les étudiants, dans des petites salles, et ça nous a plu.

Quoique chez nous, on n'en soit pas encore à se massacrer au fusil d'assaut dans la cour de récré, vous pourriez faire la même chose ici, car vous êtes très populaires en France.

Oui, je sais. Je me demande pourquoi d'ailleurs. Nous sommes les Jerry Lewis du rock ou quoi ? (il faut savoir que Jerry Lewis est autant adulé en France que méprisé, voire haï, aux USA, NDR). Nous avons du succès un peu partout dans le monde, et particulièrement en Europe, mais il y a quelque chose de spécial avec la France en effet. Ca fait plaisir.

Pourquoi ne t'installerais-tu pas ici, il y a tout ce que tu aimes ?

Je le ferai peut-être un jour. Les gens m'aborderaient dans la rue en me demandant si je ne suis pas le batteur des Red Hot Chili Peppers ! Les Français sont des gens bien, ils aiment la culture et leurs femmes sont belles. Regardez-moi un peu la photographe que vous avez, elle est ravissante (Anja rougit), en général on a toujours affaire à des gros types moches.

Ah mais ceux-là, nous on les embauche pas !

Vous avez bien raison, c'est contre-nature. Ils ne peuvent pas faire de bonnes photos s'ils effraient les gens.

N'as-tu jamais eu le sentiment d'être prisonnier de ton image ou de ton jeu ?

Qu'est-ce que ça veut dire ? Dites-moi quelle image vous avez de moi les gars, je suis curieux de le savoir.

En fait, tu sembles être le plus sain du groupe, à tout point de vue.

Pour jouer comme je le fais, il faut être en forme. Mais vous ne m'avez pas répondu, quelle est mon image ici, le Jerry Lewis du rock'n'roll ? C'est ça ?

Pas du tout, plutôt un mec marrant, qui n'a pas la grosse tête et possède un putain de groove.

C'est bien non ? Ca me plaît. Je suis très content d'être moi-même et je n'ai pas envie de changer. J'ai fait des conneries et des erreurs, mais tout le monde en fait, non ? Vous savez, j'aime vraiment ce que je fais. Quand j'avais 17 ans, je ne rêvais que d'une chose : jouer de la musique, et particulièrement de la batterie. Pouvoir faire ça toute ma vie et en vivre, jouer de la bonne musique qui plaise aux gens, avoir du succès, voyager, c'est formidable. Bien sûr, il y a des aspects merdiques qui vont de pair, mais je n'ai vraiment pas de quoi me plaindre. Croyez-moi les mecs, ce n'est pas désagréable... oh que non... Je repense à ces deux superbes filles nues dans mon lit hier soir et je me dis : que c'est booon d'être moi. Je goûte chaque instant.


par Férid Bannour & Christophe Rossi


(   )


Batteur Magazine

( << Préc | [ index ] | Suiv >>
_

[retour en haut de la page]