( Articles de presse )
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Fusion addiction
La saga des pionniers


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( Extrait du magazine "Guitar Collector's" (n°7 - Juillet 1996). )


Ce n'est pas d'hier que les Red Hot ont mis
leur grain de poivre dans la sauce rock.
Ce fut même une longue histoire qui
manqua ne jamais aboutir.

Chez eux, tout rebondit : leur musique, leur histoire et leur corps, plus encore. Dès les primes grooveries, les fanfarons des Red Hot Chili Peppers s'étaient mis en tête de mettre leurs couilles sur la table et de montrer leur cul sur la scène. Juste une chaussette sur l'os de Dyonysos, histoire d'être réglos... Depuis plus d'une décade, le gang fondé par Anthony Kiedis, Michael «Flea» Balzary et Hillel Slovak s'attache à rendre au rock sa couleur et sa fantaisie. Avec son goût prononcé pour les exploits scéniques et pour les séances de travestisme, la formation californienne, a marqué le monde visuel de son empreinte. Du relief, sur des corps, musclés à souhait, comme dans la musique ; et de la couleur dans leurs sapes, tout à fait représentatives de leur état d'esprit. Car les Red Hot, loin de se foutre de leur look, à l'inverse des grungeux, affichent une passion dévorante pour l'esthétisme. Avec eux, une séance photo est chaque fois une vraie partie de plaisir, car c'est pour eux l'occasion de laisser parler lubie et libido.

Cependant, le mythe établi autour des Red Hot ne repose pas seulement sur une image, qui, en tant que telle, reste assez artifielle. Mais aussi et surtout sur son histoire, qui comme toutes celles des vétérans du rock, comporte son lot d'excès, d'extases et de tragédies. En effet, depuis les bancs du collège de Fairfax (Los Angeles), la paire Kiedis/Flea en a vu de toutes les couleurs. Les affres de la toxicomanie, avec le décès par overdose de Hillel Slovak, guitariste originel de la formation ; la rencontre avec George Clinton, grand ordonnateur du courant funk ; les changements de producteurs (Andy Gill de Gang Of Four, puis Michael Beinhorn, puis Rick Rubin) et de guitaristes jusqu'à l'arrivée providentielle de l'ex-Jane's Addiction, celui qu'on n'espèrait plus.

Mais plus encore, la popularité interplanétaire, acquise depuis leur collaboration avec le monstre Rubin. «BloodSugarSexMagik» leur avait alors permis d'accéder aux hautes sphères de la notoriété, en même temps, quasiment, que Nirvana et Pearl Jam. Après la mort tragique de leur ami, le départ du batteur Jack Irons, la dissolution du groupe, pendant quelques temps, était apparue comme salutaire. Kiedis avait pu, ainsi, tirer la leçon de cette tragédie, en décrochant de l'héroïne. Surtout pour jeter un regard critique sur son parcours et envisager l'avenir sous un autre jour.

Enfin, l'oeuvre des Red Hot est sans doute aux années quatre-vingt-dix ce que fut celle de Jimi Hendrix aux années soixante-dix : novatrice et déterminante. Certes, le concept de fusion était apparu quelques années plus tôt, déjà, quand Mclaughlin, Al DiMeola et Miles Davis, pour ne citer qu'eux, avaient contribué à la rencontre de genres jusqu'alors bien cloisonnés. Mais celle des Red Hot Chili Peppers se distingue d'abord par sa richesse rythmique, empruntant au punk-rock comme au funk, afin de dégager l'essentiel, c'est-à-dire le groove. Au demeurant, les explorations musicales des Californiens ne sont pas sans rappeler les périgrinations musicales du défunt Zappa, lequel était également un personnage haut en couleur. Si les Red Hot sont surtout connus depuis «Blood Sugar Sex Magik», l'esprit de leur musique est né à l'aube des années quatre-vingts, notamment forgé par le guitariste Hillel Slovak. Le décès de celui-ci marqua profondément la formation, dans sa chair comme dans sa musique, au point que les guitaristes défilèrent, la plupart du temps pour de brèves apparitions : citons John Frusciante, Zander Schloss, Eric Marshall, Jesse Tobias, puis enfin Dave Navarro ; sans compter Jack Sherman, qui participa à l'enregistrement du premier album éponyme, alors que Hillel Slovak et Jack Irons étaient encore sous contrat avec What Is This ?. Depuis l'arrivée du dernier guitariste, il semble bien que l'alchimie des Red Hot fonctionne à plein tube. Après s'être soumis au rite «Special Peppers», en l'occurrence l'exhibition de son sexe en érection, Navarro est devenu membre à part entière du quartette californien. Ses principaux atouts : son expérience, acquise au sein de Jane's Addiction ; son look, totalement en phase avec celui des Red Hot ; enfin et surtout son toucher guitaristique, qui a permis au groupe mené par Kiedis et Flea de retrouver les sensations des premières heures.

Retracer le parcours des Hot Chili Peppers à travers leur oeuvre, c'est surtout définir la fusion. Car la leur s'exerce à plusieurs niveaux. Fusion des corps, des âmes, des histoires et de la musique. Après tout, on ne tient pas le groove tout au long d'une décennie, sans avoir le sentiment d'appartenir à une même famille. Dans leur sillage nombre de formations, de part et d'autre de l'Atlantique, se sont essayées au groove façon Peppers.

Le Groove de Fairfax

Au crépuscule des années soixante-dix, le concept de fusion se rattache encore aux virtuoses de la décennie qui, au gré de leurs explorations dans les sonorités jazzy, les beats africains et les modes orientaux, participent à l'enrichissement d'une autre forme de rock.

Pour l'heure, deux courants bien distincts sont sur le déclin : le disco et le punk. Cependant, l'extinction de ces genres n'est qu'apparente. En effet, le disco se ramifie progressivement, tandis que l'influence punk franchit l'Atlantique pour faire des adeptes du côté de la Californie. L'histoire des Red Hot Chili Peppers remonte au collège de Fairfax, à Los Angeles.

Michael Balzary est non seulement bassiste, mais il pratique également la trompette, ce qui lui vaut de jouer au sein de l'Orchestre Philharmonique Junior de Los Angeles. Il est également le beau-fils d'un jazzman, en l'occurrence Walter Urban Jr.. Le genre de détail qui peut aider à forger un tempérament musical...

C'est dans les murs de ce même collège que Flea rencontre Anthony Kiedis. Indomptable Don Juan, celui-ci n'est pas tout à fait anonyme. Il n'est autre que la progéniture de l'acteur Blackie Dammett, ce qui lui a permis, dès son plus jeune âge, de jouer dans le film «F.I.S.T.», de Sylvester Stallone. Après avoir quitté le collège, Kiedis se lance dans les sciences politiques, mais ses études tourneront court.

Endurci, Flea, surnommé «La puce», eu égard à sa petite taille, rejoint en 1979 le groupe Anthym, d'influence hard-rock, composé du chanteur et guitariste Alain Johannes, du batteur Jack Irons et du guitariste Hillel Slovak. Se produisant surtout dans les clubs de Los Angeles, Anthym est constamment accompagné par Anthony Kiedis, fan des premières heures, qui s'intéresse de près au rap.

C'est également à cette époque que Flea, pilier rythmique du groupe, va insuffler une énergie toute funk dans son hard-rock musclé. Anthym cède alors la place à What Is This. Cependant, l'expérience s'avère être de courte durée. Flea rejoint Fear, une association de punks un peu barjes sur les bords, avant d'être sollicité par PIL, le gang formé par John Lydon, l'ancien leader des Sex Pistols.

Bien que l'audition soit tout à fait réussie, Flea décline l'offre pourtant alléchante. Kiedis, pour sa part, a quitté l'université et se joint, le temps d'une soirée, à Slovak, Flea et Irons, pour l'occasion rebaptisés Tony Flow & The Miraculous Majestic Masters Of Mayhem. Un véritable enchantement, comme le souligne Kiedis : «Il y avait une sorte d'énergie primale dans ce qu'on faisait. On n'en avait rien à foutre. Flea, Jack et Hillel étaient incroyables : ils jouaient avec une créativité débordante, dans le genre funk parodique... Ce soir-là, j'ai compris que j'avais trouvé ma famille.» L'expérience est à ce point fructeuse que le quatuor envisage de la renouveler. La symbiose fonctionne à merveille, car les quatre nerveux se connaissent bien et obéissent tous au même appel : le fun et la provoc ! Flea : «L'idée de départ consistait à prendre un maximum de plaisir avec les copains, en se produisant et en choquant le public des clubs où nous nous produisions.».

Désormais, la bande des quatre s'appellera les Red Hot Chili Peppers. Bien que possédant un maigre répertoire de compos originales, le quartette sulfureux gagne bientôt la sympathie du milieu underground, partageant l'affiche avec RunDMC notamment. Mais les Red Hot n'étant pas encore sous contrat, chacun vaque à ses occupations de son côté. Flea chez Fear, Irons et Slovak chez What Is This. Après quelques semaines, il ressort clairement que chacune des aventures individuelles ne laisse pas grand espoir, alors même que la popularité des Red Hot continue de grimper en flèche. Encouragés par Mark «Rooster» Richardson, il écument les scènes, dont celle du Kit Kat Club, animée par des strip-teaseuses. C'est, du reste, au cours de l'un de ces concerts que le groupe étrenne son costume de scène, lequel se résume à une chaussette portée autour de leur virilité.

En 1983, le quartette californien, réuni depuis six mois seulement, décroche un contrat chez EMI. Et pas de la gnognotte : il s'agit d'un deal qui engage les Red Hot à réaliser sept albums. Le premier album éponyme est bien loin, pourtant, de répondre aux attentes de la bande des quatre.

A cela deux raisons essentielles : d'une part Jack Irons et Hillel Slovak, encore avec What Is This, sont sous contrat avec MCA. Ce sont donc le guitariste Jack Sherman et le batteur Cliff Martinez qui assurent le remplacement, pour un résultat plutôt décevant ; d'autre part, leur producteur, Andy Gill, issu de Gang Of Four, leur semble par trop versé dans les nouvelles technologies, ce qui déplût fort aux Red Hot.

Paru au cours de l'été 1984, l'album reste confidentiel. Dans le même temps, What Is This fait paraître un maxi intitulé «Squeeze». Au début de l'année 1985, Hillel Slovak remplace finalement Jack Sherman, parti dans des conditions plutôt houleuses. Dans le sillage de Jimi Hendrix, le nouveau guitariste des Red Hot fait preuve d'une impressionnante créativité, mais il sombre dans les abysses de la toxicomanie, en compagnie d'Anthony Kiedis.

Peppers en manque de Peps

A nouveau dotés de leur guitariste de prédilection, les Red Hot Chili Peppers font appel au roi de la funk, en l'occurrence George Clinton, lui proposant de produire le prochain album. Avec un nom aussi épicé et un producteur aussi coloré, les fanfarons de Los Angeles comptent frapper un grand coup sur la table de l'industrie musicale.

Et la confiance de réapparaître, après les réserves qu'avait suscitées l'album précédent. Flea : «A cette époque, j'étais convaincu que nous étions le meilleur groupe du monde ; qu'il n'y avait personne comme nous. On partageait une certaine esthétique, un sentiment unique de camaraderie, un goût pour l'art et les choses de l'amour.»

En effet, le groupe est soudé autour du noyau central : Anthony, Flea, Hillel ; quant à Cliff Martinez, il est relativement bien intégré au sein de la bande, faisant même quelques séjours en Alaska avec Kiedis. Lorsqu'il paraît, en septembre 1985, la critique est enthousiaste, ce qui ne manque de conforter les Red Hot dans leur assurance. «Nous avons les plus grosses queues», scandent-ils alors sur la reprise de Miles Davis intitulée Jean Pierre. Récupérant finalement Jack Irons à la place de Cliff Martinez, les Red Hot semblent bénéficier d'un réel intérêt pour la nouvelle forme de fusion qu'ils proposent, d'autant plus que les Beastie Boys, dans un genre assez proche, captivent l'attention.

Cependant, Kiedis et Slovak sont tout deux pris dans la tourmente intérieure de l'héroïne. C'est Hillel, plus particulièrement, qui affiche la plus grande fébrilité. Flea : «Quand tu grandis à Hollywood, la drogue est forcément présente. Les profs nous conseillent de ne pas fumer de joints, en nous prévenant contre la junkitude. Puis, on essaye et on s'aperçoit que le danger réel n'est pas à la hauteur de la menace. Alors on essaye l'héroine. Même si l'amitié et la musique constituaient une force, la drogue a réussi, pendant un temps, à l'emporter.»

Après avoir enregistré une reprise de Hendrix, l'une des plus savoureuses, intitulée If Six Was Nine, Flea et Hillel rejoignent leurs compères des Red Hot, afin de s'attaquer à l'album suivant, malgré les incertitudes qui planent, quant à l'état de santé du guitariste. Le monstrueux Rick Rubin, producteur de son état, est lui-même dérouté par ces gais-lurons, ostensiblement fouteurs de merde. Il refuse donc de les produire, mais ce n'est que partie remise. En fin de compte, c'est Michael Beinhorn (qui a notamment produit Herbie Hancock) qui s'y colle...

Enregistré dans les studios Capitol, le troisième opus intitulé «The Uplift Mofo Party Plan» paraît en 1987. Mais c'est le flop absolu, d'autant plus que, pour tout arranger, EMI oppose son veto à la parution de Behind The Sun en single. Malgré des titres forts tel Party On Your Pussy, rebaptisé en Special Secret Song, afin de contourner la censure ; tel Subterranean Homesick Blues, une reprise de Bob Dylan. Après l'effervescence de l'enregistrement, les Red Hot sont proprement dépités. Sans compter qu'ils doivent se contenter, la plupart du temps, de salles à moitié remplies. Décidément, le quartette de Los Angeles a bien du mal à s'arracher à sa condition de groupe de club.

Lorsqu'ils se rendent en Grande-Bretagne, au cours du printemps 1988, les Red Hot Chili Peppers sont dans la ligne de mire de la presse musicale, bien loin de l'anonymat réservé par leurs propres compatriotes. Ils en profitent alors pour y aller de leur petite frasque, en parodiant la pochette de «Abbey Road» des Beatles, nus et une chaussette sur le sexe. Ce qui ne sera pas pour plaire aux Ramones, rencontrés au cours d'une tournée finlandaise et auprès desquels ils rééditeront le même exploit.

Quant aux Anglais, ils semblent ne pas percevoir le sens véritable de ces provocations. Kiedis : «On avait un sens de l'humour un peu gras. Ils nous prenaient pour des cons, mais ils n'ont fait attention qu'à la pochette (de «Abbey Road», maxi comprenant la reprise de Fire). Les gens n'ont pas su découvrir le sens, l'idéologie et l'émotion qui se cachaient derrière ça.»

Une fois rentrés au pays, les Red Hot Chili Peppers sont censés entamer l'enregistrement du quatrième album, toujours sous la houlette de Michael Beinhorn.

Mais le 27 juin 1988, Hillel Slovak est retrouvé mort. Overdose. Comme tant de groupes qui ont exploré les frontières du rock'n'roll excess, essuyant la perte d'un de leurs membres (ACDC avec Bon Scott ; Led Zeppelin avec Bonham ; les Doors avec Jim Morrison), les Red Hot sont anéantis. Hillel n'était pas seulement un compagnon sur la route de la fusion, mais surtout un des trois fusionneurs originaux, un ami.

Un de perdu...

«Ça aurait facilement pu être moi», déclarera Kiedis. Lui, aussi, est sérieusement accro. L'overdose de Hillel provoque la dislocation brutale des Red Hot et, par là-même, la mort d'une époque.

Jack Irons, d'abord interné, quitte plus tard la formation, pour une durée indéterminée. Quant à Flea, qui touche également à la poudre blanche, il n'est pas épargné : «La mort de Hillel est la chose la plus triste qui nous soit arrivée. Ce qui m'a franchement fait le plus mal, c'est qu'il aurait pu s'appuyer sur nous, sur notre amitié. J'en ai éprouvé de la colère contre lui.» Durant plusieurs semaines, Anthony Kiedis sombre dans une déprime incommensurable. Les Red Hot ne sont alors plus que poussière.

Mais une poussière active, capable de se restructurer. Kiedis, en effet, trouve dans ce drame matière à combattre son propre mal et réussit à revenir sur des sentiers moins dangereux, en décrochant. Ainsi, Flea et Antony s'engagent à nouveau sur la voie du rock'n'roll groovesque, se consacrant à la recherche d'un batteur et d'un guitariste. Des bons, mais surtout des potes qui partageraient le même esprit et le même sens de l'esthétique, la technique en plus... Bien que «plus rien ne sera jamais comme le trio que nous étions Flea, Hillel et moi. C'est une période qui s'achève et qui ne se répètera plus jamais», comme l'affirme Kiedis. Les premiers postulants à la Redhotisation, Darren DH Peligro (ancien des Dead Kennedys), puis Duane «Blackbyrd» McKnigt (ancien du P-Funk) sont évincés, au profit de John Frusciante, un guitariste âgé de seulement dix-sept ans et inconditionnel du gang. Grandi au rythme de Trout Mask Replica, de Captain Beefheart, il épate immédiatement les deux vétérans des Red Hot. Dans le même temps, Irons se joint à la nouvelle formation de Joe Strummer. Côté batterie, Flea et Anthony arrêtent leur choix sur un dénommé Chad Smith. A l'opposé de Frusciante et des deux Red Hot, le nouveau batteur est d'un tempérament plutôt discret. Surtout accro à la bière, il apparaît comme un mec foncièrement banal, par rapport à ses partenaires, excentriques à souhait. Mais il possède un atout qui vaut le détour, d'après les dires de John Frusciante : «Il boufferait de la batterie pour son petit déjeuner.»

En fin de compte, Chad Smith est embauché, à titre permanent, au sein des Red Hot Chili Peppers. Il commence sur les chapeaux de roues, puisque le groupe entame enfin l'enregistrement de «Mother's Milk», sous la direction de Michael Beinhorn. Cependant, la collaboration tourne court, les Red Hot reprochant au producteur sa timidité, alors même qu'il semblait vouloir s'investir plus audacieusement.

En fin de compte, à la suite du divorce, les Red Hot se retrouvent avec un album plutôt léger : quarante minutes seulement, auxquelles ils ajouteront la reprise de Fire, présente sur «EP Abbey Road» et Taste The Pain, destiné à une B.O..

Paru en 1989, «Mother's Milk» apparaît comme la renaissance des Red Hot Chili Peppers, même si les plaies sont encore ouvertes. En témoigne le titre Knock Me Down, dans lequel Kiedis rend hommage au guitariste disparu. Du reste, le chanteur de la formation donnera quelques signes de fébrilité lorsqu'il s'agira de jouer des morceaux datant de l'époque «Anthony-Flea-Hillel».

Quoi qu'il en soit, cet album marque l'envol des Red Hot. Ainsi, MTV et les ondes radio s'intéressent de près à la reprise de Stevie Wonder, intitulée Higher Ground. Pour la première fois, la troupe de Kiedis semble attirer l'attention des médias. C'est peut-être l'occasion d'en profiter.

La tournée «Mother's Milk», dans l'ensemble, est marquée par le groove et la bonne humeur. Dans le même temps, Flea, loin d'avoir oublié son initiation musicale à la trompette, se compromet avec des membres des groupes Fishbone et Thelonious Monsters ainsi que le guitariste Eric Marshall.

Entre-temps, l'album devient Disque d'or, ouvrant aux Red Hot les portes de la notoriété. Les fanfarons de Los Angeles peuvent alors tout se permettre : entre autre, une version éminemment gaguesque du standard des Sex Pistols, en l'occurrence Anarchy In The UK ; également, une altercation avec Mike Patton, de Faith No More, qu'ils taxent purement et simplement de plagieur. Bref ! L'ambiance est à la fête et les Red Hot, boostés par le succès de «Mother's Milk», reprennent du poil de la bête.

La sauce Chili prend enfin

Dans ce contexte, les maisons de disques commencent à se bousculer au portillon des Peppers. D'autant plus que ceux-ci résilient leur contrat avec EMI, qu'ils jugent trop timoré, notamment en matière de promotion et de distribution. C'est Warner qui finit par gagner la sympathie des Californiens. Il faut dire que la major a mis le paquet : le Président, en personne, s'est chargé d'appeler chacun des membres du groupe ; en outre, il offre à ses nouveaux poulains la coquette somme de dix millions de dollars, pour trois albums seulement. Pourquoi faire les difficiles ? Après s'être vu refusé une signature sur son propre label, Def American, Rick Rubin accepte néanmoins de collaborer avec les Red Hot Chili Peppers, en tant que producteur. La stratégie est autant efficace que simple : les Red Hot s'enferment dans une maison complètement isolée, dont un ancien propriétaire ne fut autre que Rudolph Valentino. Pas d'interférences, non plus : les Red Hot jouent ensemble, tout en évitant de céder à la tentation de la technologie. Rubin dira d'eux : «Leur réussite ils la doivent surtout à eux-mêmes. Depuis qu'ils ont décroché de l'héro, ils ont pu se consacrer plus sérieusement à leur art.» A l'époque où «Nevermind» échoue dans les bacs des disquaires, en 1991, annonçant la médiatisation de «la chose grunge», les Red Hot sont au faîte de la popularité. «BloodSugarSexMagik» engendre un succès considérable, promu par les titres Under The Bridge et Give It Away, qui tournent désormais sur les platines du monde entier.

La tournée qui suit, notamment en compagnie des Smashing Pumpkins, encore anonymes, est pour le moins harassante. Finalement, John Frusciante, qui sombre dans le crack, n'a peut-être pas l'envergure pour tenir cette cadence effrénée. Quant à Flea, récemment séparé de sa femme, il n'est pas non plus au mieux : «J'avais divorcé depuis pas longtemps. Ma fille me manquait. A cette époque, je ne me sentais pas proche du reste de la bande. J'avais du mal à dormir. J'étais complètement déboussolé.» Plus tard, la fébrilité du bassiste des Red Hot sera diagnostiquée comme un syndrome de fatigue chronique. Au cours de la tournée japonaise de 1992, John Frusciante annonce qu'il quitte finalement les Red Hot Chili Peppers, lesques se retrouvent à nouveau sur la corde raide.

Décidément, en matière de guitariste, ils sont poursuivis par la poisse ! «Nous recherchions chez ce guitariste des caractéristiques cosmiques très spécifiques. Et, bien sûr, nous avons eu un mal fou pour dégoter quelqu'un qui serait en phase avec nous. A l'époque, tout s'embrouillait, tout devenait confus et nous n'étions pas loin d'exploser à nouveau», se rappelle Kiedis. C'est ainsi que les six-cordistes se succèdent... Dans un premier temps, les Red Hot contactent Dave Navarro, guitariste de Jane's Addiction, mais ils essuient d'abord un refus. Après avoir posé une annonce dans un hebdomadaire local, ils sont bientôt submergés par les candidatures et ne tardent pas à réaliser que la démarche n'est sans doute pas la plus appropriée. «Nous avons essayé près de deux mille guitaristes, ce qui est complètement naif et absurde de notre part... Penser que nous pouvions, en écoutant de parfaits étrangers, tomber par hasard sur la perle rare», lance Kiedis. Zander Schloss, ancien membre de Circle Jerks et de Thelonious Monsters, est engagé pour assurer la tournée Lollapalooza 92, laquelle présente notamment Pearl Jam, Ministry, Soundgarden et Lush. Par la suite, c'est Eric Marshall, issu de Marshall Law, qui tient la guitare. Pendant ce temps, les Red Hot n'en finissent pas de croûler sous les récompenses.

Le tube Give It Away obtient une récompense pour la «Meilleure direction artistique», tandis que Under The Bridge, désormais standard, est nommé lors des MTV Video Awards. En outre, EMI profite du succès considérable de ses anciens poulains pour éditer une compilation intitulée «What Hits».

Plus raide que Red

En somme, les Red Hot Chili Peppers, bien que totalement étrangers au tourbillon grungeux, bénéficient d'une notoriété internationale. Rock stars confirmées, Kiedis et consorts font en outre des apparitions fréquentes lors des concerts de bienfaisance (dont Rock For Choice). En 1993, Flea est nommé «Meilleur bassiste de l'année». Puis un fantôme réapparaît. C'est Jack Shennan, premier guitariste des Red Hot, qui a participé à l'enregistrement de «The Red Hot Chili Peppers». Après avoir été viré du groupe en 1985, Sherman estime que les termes de son contrat n'ont pas été respectés. Mais l'affaire n'ira pas plus loin, le tribunal jugeant les chefs de la demande sans fondements.

Dans le sillage d'Eric Marshall, Jesse Tobias, issu de Mother Tongue, tente lui aussi de se fondre dans l'alchimie des Red Hot. En vain ! Un mois seulement après son intégration, il quitte le gang des Californiens. Quoi qu'il en soit, Anthony Kiedis n'a qu'un seul nom à l'esprit : Dave Navarro. Comme lui, Navarro est un ancien junkie ; comme lui, il affiche un goût prononcé pour l'esthétique ; enfin, il a un rapport avec la musique qui se rapproche ostensiblement de l'état d'esprit des Peppers : «Je serais prêt à payer pour pouvoir jouer de la musique. Il se trouve que j'arrive à en vivre. La beauté de cet art tient au fait que tu peux le faire devant des milliers de spectateurs comme dans ta chambre, sur ton pieu. Pour moi, la musique est une forme de thérapie. Ça me permet d'exorciser mes démons, de libérer l'énergie profonde.» Lorsque Dave devient membre à part entière des Red Hot Chili Peppers, ceux-ci ont déjà vécu une longue histoire. Il n'est pas question pour l'ancien six-cordiste de Jane's Addiction de prétendre remplacer Hillel Slovak. En réalité, il arrive à point nommé pour redonner un second souffle aux Californiens qui, après avoir essayé Zander Schloss, Eric Marshall et Jesse Tobias, ne sont pas loin d'être désabusés. Il apporte non seulement sa pierre à l'édifice de la composition, mais surtout permet aux Red Hot de renouer avec l'esprit de la fusion. Ce «sens unique de la camaraderie»...


par Démian


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