( Articles de presse )
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Promenade avec l'amour et la mort


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( Extrait du magazine "ROCK SOUND" (n°28 - Septembre 1995). )


Quatre ans qu'on attendait ça.
Quatre longues années qu'on attendait que les Red Hot
veuillent bien donner une suite à ce "Bloodsugarsexmagic"
qui les avaient rendus riches et célèbres. Un bail.
En termes showbiznessiens, un suicide même.
Quatre années qu'en tout cas, certains auraient au moins
passé à goûter aux joies de la réussite, à profiter du jackpot,
à se faire du lard, à mitonner la potion "mainstream"
la plus définitive et la plus inaltérable pour signer
un retour commercialement imparable. Et enfoncer le clou.
Mais non, pas les Peppers. Eux, au contraire,
ils se sont pris la tête grave : malaise créatif,
probablement assorti de divagations mentales gratinées
pour Kiedis, défections successives et intempestives
des guitaristes Frusciante, Tobias, Marshall
attestant d'une instabilité chronique.
Dépression mammouth pour Flea.
Il y a encore quelques mois tout semblait perdu.
Et puis Dave Navarro (guitariste) aidant,
Rick Rubin (producteur) aussi,
les choses sont peu à peu rentrées dans l'ordre...

Alta Loma road est une petite rue sévèrement pentue d'Hollywood West qui débouche tout-à-trac sur le Sunset Strip à peu près à la hauteur du House Of Blues, la boîte branchée de Dan Aykroyd. Une rue quelconque de Tinsel Town. Ni propre, ni sale, ni coquette, ni moche. C'est tout juste si l'on repère l'entrée de l'hôtel de luxe qui s'y dissimule sous les acacias à mi-hauteur. Le Sunset Marquis. C'est là qu'a lieu une partie de la promo mondiale de "One hot minute", le nouveau Red Hot Chili Peppers en cette mi-juillet. Autant la rue était chaude et suffocante sous l'épais soleil voilé, autant le parc bucolique que masque la façade terne et grise est frais et reposant. Los Angeles, terre de contrastes... Bref, organisée comme du papier à musique, la promo semble un peu marquer le pas ce jour-là. Sous toutes les latitudes, un planning est un planning, sauf pour les Red Hot Chili Peppers, air connu. En clair, ça patine un peu. Session photo, pas session photo, interview maintenant ou interview plus tard, l'attachée de presse de Warner - monstre de dévouement et d'abnégation - doit tenir compte en temps réel et en vrac de la vitesse du vent, de l'âge du capitaine, du robinet qui fuit et de l'humeur d'Anthony. Pas simple. Voudrais pas être à sa place. Donc, après une valse-hésitation de dix minutes, pon, pi, pette, allumette, ce sera... session photo. Un photographe allemand suggère alors aux musiciens, par ailleurs étonnamment sympathiques, qu'ils pourraient faire des photos dans la piscine en contre-bas, histoire de faire exotique (c'est vrai que vu des rives de l'Oder...). Et puis comme ça, on verrait bien leurs tatouages aussi (inquiétante tout de même cette obsession germanique pour le marquage des corps...) Sitôt dit, sitôt fait, l'idée ravit les Peppers qui se retrouvent tous à poil en moins de deux dans la suite du premier. Et comme rien n'est simple avec eux, plutôt que de descendre calmement vers la douve, ils décident comme un seul homme d'y sauter des fenêtres de l'étage. Le tout sous l'oeil médusé et fou d'inquiétude de l'attachée de presse. C'est donc un Flea, frissonnant et humide qui déboule pour l'interview. Etant donnée l'atmosphère curieuse entretenue par les Red Hot, flirtant tour à tour soit avec l'humour potache, soit avec la mutinerie pure et simple, on pouvait craindre le pire. Et bien non, Michael Balzary, étrange hystrion tatoué nous la jouera confidentiel et sincère. Une manière somme toute assez élégante de montrer sa métamorphose.

1 + 1 + 1 + 1 = 4

Quand on s'appelle Flea, qu'on est un des piliers d'un des groupes les plus importants d'aujourd'hui, quel regard porte-t-on sur les treize années de carrière de ce groupe, spécialement au moment de sortir un nouvel album ?

Flea : Mitigé. Forcément. D'un côté, c'est évident on s'est rôti plus d'une fois aux flammes de l'Enfer, d'un autre, on a aussi passé pas mal de périodes où on pétait dans la soie. Je veux dire, on a connu notre lot de galères, de trucs vraiment durs à encaisser, des tragédies même. Et puis, à côté de cela, des choses vraiment extraordinaires, des moments magiques d'enthousiasme. Aussi, quand je regarde en arrière, les années passées, je me dis que toutes ces années ont été des années de formation, des années d'apprentissage où personnellement, j'ai surtout passé mon temps à apprendre, à me découvrir, à relever ce qui est vraiment ma personnalité propre et profonde, à ce qui fait mon caractère. Je me suis rendu compte que, longtemps, j'avais défini ma personnalité en fonction de l'image que les autres me renvoyaient de moi-même. C'est stupide, ce n'est pas comme cela qu'on se découvre intimement... La réponse est en soi. Cela dit, j'ai le sentiment d'avoir eu de la chance de vivre tout ce que j'ai vécu, y compris les moments difficiles. J'ai vécu ma vie avec plein d'erreurs mais aussi des moments merveilleux, j'ai beaucoup appris de cela. Je me rends compte aujourd'hui combien j'ai été longtemps un animal sauvage dont la seule façon de communiquer était de se donner en spectacle d'une façon totalement grotesque et pathétique. J'ai appris à mes dépends, je ne le regrette pas, c'est une belle façon de progresser dans la vie. Heureusement qu'au milieu de cette confusion, il y avait la musique, la seule donnée stable finalement et qui m'a permis de ne pas décrocher. Parce que je me suis rendu compte qu'un jour, j'étais capable de toucher, de bouleverser des gens avec cette musique. C'est le truc auquel je me suis accroché. Cela dit, ça n'a pas été de tout repos non plus : la relation avec un groupe, c'est comme la relation avec une femme, une relation amoureuse. Un jour le bonheur, le lendemain le marasme. Mais j'ai tenu bon.

Vois-tu une logique, une cohérence, des permanences dans ta carrière musicale ?

Flea : Oui, absolument. Ce que j'imagine être la cohérence ou la permanence, c'est le groupe. Ce groupe pour lequel on s'est bagarré et qu'on a réussi - ou presque réussi - à faire évoluer selon nos désirs, avec notre propre idée pour dégager au bout du compte notre propre style. La cohérence pour ce qui me concerne et ce qui nous concerne je crois c'est d'avoir su intégrer et digérer des tas d'influences pour arriver à quelque chose de nouveau et d'original. Le tout sans piquer ou voler quoi que ce soit à quiconque. Ta question est intéressante, parce que, tu vois, je ne l'avais jamais envisagé comme cela mais c'est vrai que les Peppers se sont nourris de pleins de trucs, des tas de grands artistes ont eu une grande influence sur nous mais on a su dominer tout cela et en faire quelque chose de nouveau, créer notre propre son. Je suis profondément fier de cela et je crois que c'est cette fierté, cette volonté qui m'a - et qui nous a - toujours guidés. C'est le fil rouge de nos vies et de nos engagements musicaux, ça c'est sûr. Plus l'amitié. Il ne faut jamais oublier qu'à l'origine le groupe est une affaire de potes, une affaire d'amitié qui ne s'est jamais démentie et je pense que cela nous a fait beaucoup progresser et gagner en maturité. Je te le dis cette amitié nous a sauvé la mise plus d'une fois et cet album qui sort maintenant est vraiment le reflet de ça. Nous avons mis beaucoup de nous-mêmes, beaucoup de nos expériences, beaucoup de ce que nous avons appris individuellement ou en commun dans ce disque. C'est un peu un bilan musical des années de flambes et des années de tragédies. Je crois qu'il reflète bien notre état d'esprit à Dave, Chad, Anthony et moi à ce point de nos vies respectives. Un + un + un + un = quatre, ça n'a jamais été aussi vrai.

JOUER AVEC AMOUR

Pour beaucoup de gens, les Peppers représentent le groupe parfait de cette génération. Sais-tu pourquoi ? Te poses-tu la question de savoir pourquoi vous, pourquoi la musique des Peppers plutôt qu'une autre ?

Flea : Putain, je ne sais vraiment pas si nous sommes un groupe si parfait que ça ! (rires) Non, sérieusement et honnêtement, je peux te dire que cela n'a jamais été une préoccupation du groupe. Nous, on s'est contenté de faire notre truc, du mieux qu'on pouvait, selon l'idée que nous nous en faisions. On n'a jamais cédé aux sirènes ni même essayé d'envisager - même vaguement - la manière dont les gens pouvaient nous considérer, nous imaginer ou nous percevoir. On a essayé d'exprimer ce qu'on avait en nous de la façon la plus sincère et la plus honnête. De toute façon, je pense qu'un groupe qui commence à réfléchir à ce genre de choses dans l'idée de plaire, de séduire et de coller un peu plus aux désirs supposés de son public a déjà un pied dans la tombe. Ça, c'est vraiment la fin d'un groupe ! Il faut faire ce qu'on aime et le faire naturellement, si recette il y a, je n'en vois pas d'autre.

Il y a un instant tu disais avoir appris des choses pendant ces années avec les Peppers. Musicalement qu'as-tu appris ?

Flea : Je n'ai pas appris de 'grosses choses' si tu veux. Plutôt une accumulation de petits faits qui changent un jour les perspectives que tu as sur la musique. La 'grosse chose' que j'ai apprise, s'il y en a eu une, c'est qu'il faut toujours jouer la moindre note avec tout l'amour et toute l'énergie dont tu es capable. Sinon, ce cirque n'a pas de sens. C'est la seule façon de faire ça honnêtement, de donner un peu d'humanité aux sons, de rendre ça réel, c'est d'y mettre le paquet... Plus j'y réfléchis, plus je me dis qu'il faut se donner les moyens de faire les choses comme on les sent, avec sincérité, honnêteté mais à sa façon. Chacun a quelque chose d'original en lui qu'il se doit d'exprimer. Ce qu'il manque aux gens la plupart du temps, c'est un peu de courage pour se l'avouer et pour y travailler.

"Blood Sugar Sex Magic" vous a apporté un immense succès à peu près partout sur la surface du globe. A la réflexion est-ce que le succès est quelque chose de difficile à digérer ?

Flea : Je crois qu'on a eu la chance de ne pas être exposé d'un coup à un succès démesuré. En fait, les choses ont été très progressives et cela nous a probablement évité de péter les plombs. Certes le succès commercial de "Blood..." a été un grand bond en avant pour nous, ce serait stupide de le nier mais en même temps, ça faisait déjà quelque temps qu'on n'avait pas à se plaindre en terme de ventes. Le succès commercial n'a pas été pour nous quelque chose d'instantané et de surprenant, on y était préparé en somme, ne serait-ce que par les nombreuses années qu'on a passé à crever la dalle. Pour ce qui me concerne, je dois dire que le succès commercial n'a pas été quelque chose qui m'a artistiquement ennuyé ou perturbé, je ne pense pas que cela ait eu une répercution sur mon comportement. J'ai continué de faire ce qui me plaisait comme cela me plaisait, je suis peu sensible aux influences extérieures artistiquement parlant. Cependant, je dois reconnaître que socialement et dans la relation à autrui, le fait d'être un des musiciens d'un groupe à succès m'a posé pas mal de problèmes. Dans le sens où je ne savais plus pourquoi les gens venaient à moi, par pure amitié désintéressée ou par intérêt. Et ça, c'est un peu difficile à vivre... Jusqu'au moment où je me suis aperçu qu'il y avait dans toute chose, y compris dans les bonnes, une part de douleur qu'il fallait reconnaître, analyser et dépasser. C'est ce que je suis arrivé à faire concernant le succès et la célébrité.

DÉPRIMÉ, MISÉRABLE, CASSÉ...

Le succès n'a toutefois pas empêché le groupe d'avoir des tas de problèmes depuis trois ou quatre ans...

Flea : Je pense que tu mélanges deux trucs. Là, on parlait du succès commercial et il n'est inscrit nulle part il me semble que le succès commercial soit à même de régler tous les problèmes à la surface de la Terre ou dans la tête d'un individu. Ce serait trop simple. Ce n'est pas le succès et le fric que tu gagnes qui va t'empêcher d'avoir la grippe, des embrouilles avec ta nana ou une déprime carabinée, il faut le savoir. Tu sais, chacun se trimballe comme il peut son fardeau, certains quelque fois depuis l'enfance. Ça n'est pas parce que tu vois ta tête dans les magazines et que tu gagnes subitement des montagnes de fric que ces choses-là disparaissent du jour au lendemain. Si tu crois cela laisse-moi te dire que tu te fous le doigt dans l'oeil ! Tout le monde a des problèmes de coeur, des problèmes métaphysiques, des problèmes psychologiques, des blocages, du stress, de la pression, etc. Ça ne disparaît pas du jour au lendemain. C'est la vie qui est comme ça et il n'y a que dans les magazines populaires qu'on fait croire le contraire aux gens. Personnellement, avant l'enregistrement de cet album et malgré l'énorme succès de "Blood..." et le fait que ma vie était beaucoup plus facile, j'ai probablement vécu les moments les plus durs et les plus difficiles de mon existence. Malgré le fric et la reconnaissance, je suis tombé très malade, j'étais épuisé, au fond du gouffre, seul, déprimé, misérable, cassé... Je t'assure que le succès ne m'était pas d'une grande utilité dans ces moments-là. J'ai dû trouver en moi-même les solutions à mes problèmes, j'ai dû apprendre à me connaître, à faire des efforts et je t'assure que j'ai énormément retiré de cette expérience difficile, que je ne vois d'ailleurs pas comme une catastrophe mais plutôt comme quelque chose qui m'a fait progresser. D'ailleurs, faire ce disque, faire de la musique a été très important dans ce contexte, plus important que de me sentir un musicien à succès. Tu vois ce que je veux dire ?

La musique t'a-t-elle servi une fois de plus de catharsis ou de psychanalyse ?

Flea : Oui, absolument. De toute façon, je considère depuis toujours la musique comme une catharsis. La fonction de la musique selon moi est évidemment de servir à purger les émotions, de catalyser les frustrations pour parvenir à les éliminer. Chaque homme, chaque femme est confronté un beau jour à ses propres limites par peur, insécurité, douleur et chacun trouve les soupapes qu'il peut pour évacuer tout cela. Car il faut l'évacuer sinon tu te heurtes à un véritable mur. Tu dois faire quelque chose. Pour ce qui me concerne, des problèmes j'en ai eu des wagons, des trucs a priori insurmontables. Dans ces conditions, l'expression musicale, le fait de faire cet album tout simplement a été une catharsis, une chose qui m'a permis de me débarrasser de toutes ces peurs, de toutes ces angoisses, qui m'a libéré en quelque sorte, qui m'a permis de purger toutes ces émotions terribles. Aujourd'hui,je peux le dire,je suis sorti de ces problèmes grâce à cet album.

Les buts que tu poursuis avec ta musique sont-ils uniquement créatifs et artistiques où essaies-tu avec cette musique de délivrer une sorte de 'signe' - je n'ose pas dire message - aux gens qui la reçoivent ?

Flea : Oui et non. D'un côté, il est évident que notre musique est le résultat artistique personnel d'un certain brassage de jazz, de hip hop, de rock etc. Et que nous n'avons jamais eu la prétention de précher quoi que ce soit par ce moyen. C'est un truc personnel que nous faisons parce nous en ressentons le besoin impérieux. D'un autre côté, notre musique est évidemment le résultat de nos émotions combinées et que, de ce point de vue, nous y mettons forcément beaucoup de nous-mêmes et aussi de nos expériences humaines individuelles. Telle chanson a pu nous être suggérée par un film, une peinture, un sourire d'enfant, le pet d'une vieille dame, que sais-je encore et que de ce point de vue, il y a bien un signe qui passe sur ce que nous sommes, sur qui nous sommes et sur ce que nous pensons. C'est la résultante de choses vécues, senties, touchées. Je suis persuadé en plus qu'il y a des tas de trucs inconscients qui passent sans que nous y faisions attention. Mais ça n'a jamais été une démarche consciente et volontaire chez les Peppers d'analyser a priori un message quelconque que nous souhaiterions faire passer et de bâtir une chanson autour. Nous faisons juste ce que nous faisons... Mais en le faisant, il y a effectivement des tas de signes qui passent et que des gens attrapent au passage, j'en suis convaincu.

GUITAR ZEROS

Sept guitaristes se sont succédés au sein des Peppers en treize années. Comment expliques-tu ce turn-over permanent ?

Flea : Hé, parce que c'est un boulot épuisant ! (rires) Non, trêve de plaisanteries, on n'a vraiment pas eu de pot avec nos guitaristes, une véritable poisse. Maintenant, c'est vrai qu'on est à l'abri, nous avons Dave (Navarro) et c'est le meilleur de tous, je le pense sincèrement. Ce qui est arrivé, je crois, c'est qu'à chaque fois, le type qu'on dégotait nous semblait l'affaire du siècle et qu'à chaque fois peu de temps après, ça nous semblait aussi l'affaire du siècle de s'en débarrasser (rires). Au début, il y avait Hillel (Slovak), lui, c'était vraiment le pote d'enfance, le mec de Fairfax, il était le guitariste parfait pour nous, c'était une grande partie de notre son... un remarquable guitariste... Nous l'aimions comme un frère et puis, il est mort à cause de la came... Ça été terrible. Ensuite, il y a eu Jack Sherman qui était un authentique trou du cul et qu'on a viré vite fait bien fait, ensuite Blackbird Dwayne (Knight -ndr), sympa mais pas de bonne alchimie avec lui. après, il y a eu John (Frusciante), un guitariste extraordinaire mais avec des options mentales carrément barrées et on ne pouvait plus continuer avec lui, ni lui avec nous d'ailleurs. Ensuite, on a eu Arik (Marshall -ndr) et ça a été pareil que pour Dwayne : superbe guitariste, très inventif mais la mayonnaise ne prenait pas. Ensuite, Jesse Tobias, en qui on pensait avoir trouvé le musicien ultime et puis au bout de deux semaines, on s'est rendu compte que la musique des Peppers n'était pas son truc, qu'il se comportait comme un mercenaire et ce n'était pas ce que nous cherchions. Et enfin, Dave, la perle rare, on s'en est vite rendu compte : guitariste et musicien de génie et être humain sensible et généreux. Parfait.

On a eu l'impression que l'arrivée de Dave vous avait donné comme une nouvelle impulsion, une nouvelle motivation...

Flea : Oui, ça certainement, c'est indéniable. Il est arrivé dans le groupe en apportant dans ses bagages plusieurs styles de guitare, plusieurs façons de jouer, plusieurs esthétiques presque. Ce qu'il y a eu de rare avec Dave, c'est que simultanément nous avons eu des efforts à faire pour l'intégrer mais que, dans le même temps, il a fait lui aussi énormément de travail pour comprendre notre démarche et y adhérer. Ça a vraiment été un travail collectif et, au final, on est arrivé à créer quelque chose de nouveau. Non seulement pour nous mais aussi quelque chose de nouveau pour lui. On a un peu grandi et changé ensemble si tu veux et ça, c'est un gage de bon travail et de bonne entente. La guitare de Dave n'a pas été plaquée sur les Peppers et les Peppers n'ont pas le sentiment d'avoir engagé un mercenaire. Ce n'était pas évident et ça a d'ailleurs posé des problèmes. Mais, on est arrivé à les résoudre. Tu as entendu le disque ? Qu'en penses-tu ? Ça sonne neuf, tu ne trouves pas ?

Et humainement ?

Flea : Là, c'est comme dans une relation amoureuse. Où tu aimes la personne et tu as envie de faire des efforts et ça marche. Où globalement tu n'en as rien à foutre et ce n'est même pas la peine de continuer. Dave avait envie que ça marche avec nous et nous de même, alors tout le monde y est allé avec de la bonne volonté. Il n'y a rien de mieux pour que ça marche. Il faut jouer sur les rapports humains, faire appel à la sensibilité des gens et à ta propre sensibilité. Dave, avant de rejoindre le groupe, traînait avec un gang de bikers, ils s'appelaient "The Sensitives" (Les Sensibles), tu vois, c'était gagné d'avance ! (rires) Avec Dave, aujourd'hui, c'est plus qu'une histoire de musicos, c'est une histoire d'amitié entre mecs... Même si nous avons nos propres vies en dehors du groupe et que nous ne sommes pas forcément toujours en train de traîner ensemble. De toute façon, nous avons tous vieilli et nous aimons tous aujourd'hui vivre des expériences en dehors du groupe. Je suis même sûr que cela nourrit la musique des Peppers au lieu de la distendre.

TRANSCENDING

Tu as écrit un certain nombre de chansons sur "One hot minute". Ton état d'esprit a-t-il changé vis-à-vis de la composition et de l'écriture ?

Flea : Je crois que j'ai surtout changé en cours de route. Au début, lorsque j'ai commencé à écrire pour cet album, j'étais très triste, dépressif, mal dans ma peau, malade et cela se ressentait dans mes compos. C'est la première fois par exemple que je faisais aussi attention aux paroles, que j'étais aussi méticuleux avec les textes. Par exemple, "Transcending" est une chanson à propos de River Phoenix qui était un ami très proche et je la voulais aussi proche de notre relation que possible, je voulais que ce soit une chanson qu'il eusse pu chanter s'il avait vécu. Parce qu'elle parle des choses que nous avions en commun, que nous partagions lui et moi. "Deep kick" est un titre qui fait référence à deux d'entre-nous grandissant à Hollywood, idem pour "Pea"... Tu vois, c'était vraiment une sorte d'accomplissement émotionnel, beaucoup plus que pour les disques précédents. J'ai d'ailleurs bataillé ferme pour les compositions, j'étais cassé et toutes les idées qui me venaient étaient toutes plus catastrophiques les unes que les autres...

Tu as écrit à la guitare pour la première fois...

Flea : Oui, c'était comme gagner une nouvelle liberté. Enfin disons que j'ai composé des trucs simples, de petites progressions d'accords qu'ensuite Dave a habillées et rendues "guitaristiques" si tu veux (rires).

Ecrire les paroles de "Transcending", c'était douloureux ?

Flea : Non, pas vraiment. C'était moins douloureux d'érire ces paroles que de ressentir ce que je ressentais vis-à-vis de River avant d'écrire la chanson. Là, la catharsis dont on parlait tout à l'heure a fonctionné à plein. La chanson, l'écrire en tout cas m'a libéré d'un poids, c'est évident.

Tu sembles vraiment très libre dans ton approche de la basse aujourd'hui. Tu as dépassé le stade du bassiste pour bassistes ?

Flea : Oui, c'est un peu ça. Je crois que je n'ai jamais recherché à être un bassiste pour les bassistes, c'est venu tout seul, à mon corps défendant. Aujourd'hui, c'est vrai que je n'ai pas grand chose à prouver dans ce domaine, ça ne m'intéresse pas. Si tant est que ça m'aie intéressé un jour. J'ai des choses à prouver à moi-même en revanche, j'ai envie de progresser dans d'autres domaines, comme l'écriture par exemple, ça me semble maintenant plus constructif. De plus, il me semble que c'est plus intelligent de mettre la basse au service d'une chanson que le contraire, tu ne penses pas ? Si une chanson est simple, la ligne de basse sera simple, point. Seule l'émotion d'une chanson est à protéger, le reste n'a aucune importance, c'est ma philosophie aujourd'hui.

En tant que musicien as-tu été fier néanmoins d'être devenu une référence quasi incontournable au niveau de ton instrument ?

Flea : Je mentirais si je disais le contraire mais cela n'a jamais été un besoin ou un but pour ce qui me concerne.

MICHAEL, AUSSIE

Dans des interviews récentes, on te sentait extrêmement dépressif vis-à-vis de Los Angeles. C'est toujours le cas ?

Flea : Non seulement de L.A. mais des villes en général. Je crois que j'en ai ma claque de l'environnement urbain tout simplement. La vie ici est vraiment tordue, il y a trop d'insécurité, trop de pollution, trop de stress, trop de problèmes de toutes sortes, trop de crasse, trop d'hostilité etc. Je crois qu'aujourd'hui, je supporte cela difficilement, plus difficilement qu'autrefois en tout cas. Je crois que j'ai vieilli mais aussi que je me suis aperçu que d'autres manières de vivre pouvaient exister, que d'autres solutions s'offraient à moi. Enfin, ce n'est pas l'enfer tout de même, j'ai des amis ici, j'ai parfois un grand plaisir à me balader dans cette ville et discuter le bout de gras avec des gens qui me reconnaissent. C'est très supportable mais c'est vrai que je suis un peu gavé par Los Angeles. Heureusement qu'il y a à L.A. toutes ces cultures différentes qui coexistent, j'adore cet aspect, ça rend la vie agréable souvent. C'est une des grandes chances de cette ville. Je crois que je suis juste malade de la violence rampante, de cette douleur, de cette peur qu'ont pas mal de gens d'ici et qui les rend tordus. Particulièrement tordus. Beaucoup plus que n'importe où ailleurs. Tu sais, j'ai grandi ici et je peux te dire que ça a vachement changé en vingt piges. Et puis, je suis papa, j'ai une petite fille et je crois que je n'ai pas envie qu'elle connaisse le stress généré par cette ville. Pas que cela en tout cas.

Tu as bâti une baraque en Australie...

Flea : Ouais, super ! Un endroit extraordinaire au bord de l'océan. Je n'ai pas forcément acheté ce coin de paradis parce que j'étais étouffé par L.A. mais tout simplement parce que l'endroit me plaisait. Plus les années passent, plus j'aime me retrouver dans la nature, le contact avec la nature, j'aime les arbres, l'océan, la solitude... tout cela m'est essentiel aujourd'hui j'ai l'impression... J'ai trente-deux ans, je pense qu'il était temps pour moi de changer un peu ma vie...

Le fait que tu sois Australien d'origine a eu une importance ?

Flea : Souvent, je me dis que oui, que j'ai probablement une sensibilité différente. Mais en réalité, si je possède quelque chose de différent, je ne sais pas vraiment de quoi il s'agit. J'ai grandi à Hollywood, tous mes souvenirs d'enfance sont ici ou presque tous. je ne sais pas vraiment de quoi je suis organiquement constitué. Je ne sais pas si je le saurai un jour du reste. Cela dit, c'est vrai que dans ma famille, dans mon imaginaire, l'Australie est quelque chose de très présent et qui l'a toujours été. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le jour où j'ai voulu m'acheter une maison, je l'ai achetée là-bas. Il y avait une sorte de mouvement inconscient vers la terre de mes origines. Tout est plus grand et plus sauvage en Australie, je crois que ça correspond bien à mon caractère. Cela dit, je ne me cache pas la vérité, il y a des aspects de l'Australie qui me font gerber. C'est si "blanc", il n'y a que des putains de Blancs en Australie, ça me fout les glandes, tu peux pas savoir... Mais j'aime la nature là-bas, ça ne ressemble à nulle part ailleurs... (rêveur)

Pour finir, en tant que musicien, as-tu une éthique particulière ?

Flea : Oui, j'en ai une. Celle qui me semble nécessaire pour tout musicien : être capable d'écouter. Cela me semble être en tête de liste de l'éthique de la musique. Ecouter sincèrement, profondément je veux dire. L'autre et soi-même. Ce n'est pas très répandu comme on pourrait le croire, c'est pourtant la condition sine qua non pour faire une musique de quelque intérêt. Sinon le code éthique entre musiciens à mon avis doit être le même que dans la vie de tous les jours, "ne te comporte pas en trou du cul", "aide ton voisin", "occupe-toi de tes fesses" etc. Très simple en vérité. Mais en musique comme dans la vie, personne ne le respecte vraiment.


par Yves Bongarçon


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